Méta-analyse de la relation entre la performance organisationnelle et la capacité d’apprentissage

Notre lecture de : Goh, S. C., Elliott, C., & Quon, T. K. (2012). The relationship between learning capability and organizational performance : A meta-analytic examination. The Learning Organization, 19(2), 92‑108. https://doi.org/10.1108/09696471211201461

Billet par: Jean-François Lévesque

Résumé de l’étude :

            L’article de Goh, Elliott et Quon (2012) examine par une méta-analyse un ensemble de publications scientifiques discutant du lien entre la performance organisationnelle (financière et non financière) et la capacité d’apprentissage des organisations. Les auteurs proposent également une définition de la capacité d’apprentissage des organisations, soit l’ensemble  des pratiques, des mécanismes et des structures de gestion mis en œuvre dans le but de promouvoir les apprentissages dans une organisation.

            Les auteurs indiquent que les études recensées utilisent davantage la méthode du sondage pour analyser la relation entre la performance organisationnelle (financière et non financière) et la capacité d’apprentissage. Toutes ces études démontrent une relation positive entre la capacité d’apprentissage et la performance financière (ex. retour sur les investissements…) ou non financière (ex. innovation, satisfaction…). Ainsi, les auteurs s’interrogent au sujet des deux questions suivantes : est-ce qu’il y a une relation positive significative entre la performance organisationnelle et la capacité d’apprentissage? Dans l’affirmative, dans quelle mesure cette relation est-elle solide?

Deux hypothèses sont posées :

  • Il y a une relation positive entre la capacité d’apprentissage et la performance financière et non financière.
  • Il y aura une relation significativement plus forte entre la capacité d’apprentissage et la performance non financière plutôt que financière.

Méthodes

Une recension des écrits a été faite à partir de la base de données ABI/Inform Global. Les articles couvraient la période de 1998 à juin 2010.  Des mots clés reliés  à la capacité d’apprentissage et à la mesure de la performance ont été utilisés. Un total de 33 articles a été retenu. La capacité d’apprentissage est un concept multidimensionnel, qui comprend des éléments tels que le transfert de connaissances, la culture expérientielle, une orientation axée sur l’apprentissage, le partage et l’acquisition de connaissances, le travail d’équipe, la résolution de problèmes en équipe, une vision partagée et le leadership.

La mesure de la performance organisationnelle, quant à elle, se découpe en éléments financiers (performance financière et compétitivité) et non financiers (innovation, efficience, satisfaction du travail, etc.).

Résultats

À la lumière de l’analyse, une relation positive existe entre la capacité d’apprentissage et la performance organisationnelle financière et non financière. L’hypothèse 1 et l’hypothèse 2 sont donc confirmées. De plus, une relation plus forte existe pour la performance non financière. Ainsi, il est démontré que la construction de la capacité d’apprentissage peut améliorer la performance organisationnelle. Aussi, une plus forte corrélation existe entre la capacité d’apprentissage, l’innovation et la satisfaction au travail.

En termes d’implications pratiques pour les gestionnaires, les résultats positifs concernant l’augmentation de la capacité d’innovation, de la compétition et de la satisfaction des employés peuvent fournir un argument pour investir du temps et des ressources dans le développement de la capacité d’apprentissage. Lors de l’évaluation des performances financières et non financières, les gestionnaires peuvent alors établir un lien entre les résultats concrets et la capacité d’apprentissage. Aussi, la plupart des études recensées ont développé des instruments qui peuvent être employés par les gestionnaires pour mesurer la capacité d’apprentissage organisationnelle. Ces instruments peuvent être utilisés pour l’étalonnage organisationnel, déterminer le niveau de la capacité d’apprentissage ou identifier le niveau d’effort et de ressources à consentir. Toutefois, les auteurs ne mentionnent aucune étude ou instrument précisément.

Finalement, les limites de l’étude concernent l’exclusion de certaines études, ce qui réduit la taille de l’effet, ainsi que le caractère perceptuel des mesures de performance et de la capacité d’apprentissage. À titre de futures recherches, l’étude longitudinale qualitative des effets de la mise en œuvre de capacité d’apprentissage, ainsi que l’étude de la causalité de cette relation dans un but de construction théorique ont été suggérées.

Commentaires

Cet article est pertinent dans un contexte appelant à davantage d’innovation de la part des organisations afin qu’elles s’adaptent ou répondent à divers enjeux (ex. changement climatique, compétition, participation citoyenne, efficience…). Il met en valeur différentes études utiles pour soutenir la volonté des gestionnaires à développer leur capacité d’apprentissage. Toutefois, la littérature utilisée se situe dans le secteur des organisations privées. Il serait pertinent de faire l’exercice concernant la littérature au sujet des organismes à but non lucratif ou des organisations publiques.

Bien que l’étude réfère à la pluralité des modèles existants pour soutenir les gestionnaires dans l’évaluation de la capacité d’apprentissage, l’article ne présente aucun exemple de mesures pour développer cette capacité. Pourtant, divers auteurs s’intéressent à cette capacité, dont Senge (1990). Dans son œuvre, il parle des disciplines de l’organisation apprenante (pensée systémique, maîtrise de soi, connaissance des modèles mentaux, construction d’une vision partagée, dialogue via le travail d’équipe). Il présente également les lois de la cinquième discipline et du changement d’état d’esprit nécessaire. Ensuite, il élabore au sujet de la construction d’une organisation apprenante selon les disciplines et  mentionne que le leader devient un concepteur (designer), un intendant et un enseignant dans la construction de l’organisation apprenante.

Pour leur part, Preskill & Torres (1999) parlent de construire la capacité d’apprentissage organisationnel par l’articulation de l’enquête évaluative (evaluative inquiry). Celle-ci se définit comme une philosophie dans lequel s’engage un dialogue entre les clients et les parties prenantes concernant le sens des actions (Preskill & Torres, 1999:44). Les auteures présentent un processus d’apprentissage incluant le dialogue, la réflexion, le questionnement, l’identification et la clarification des valeurs, des croyances, des suppositions et des connaissances. Puis, elles soulignent les phases nécessaires pour l’enquête évaluative (concentration sur l’enquête, réalisation de l’enquête, application des apprentissages). Pour soutenir cette pratique, elles indiquent qu’il faut construire une infrastructure de soutien des apprentissages dans l’organisation, développer une culture encourageant la prise de risque et le développement de la confiance, adapter la vision du leadership, établir des moyens de communication, puis déterminer un système ou une structure pour faciliter la collaboration, la coopération et la communication entre les membres. Cela a des implications sur la pratique, car les auteurs soulignent que l’enquête évaluative pour les apprentissages organisationnels est intégrée aux processus organisationnels, elle est continue, elle crée une communauté d’enquêteurs, elle questionne et explore les diverses facettes des individus par le dialogue et la réflexion, puis contribue au développement d’une culture d’enquête. Aussi, dans le processus d’apprentissage et de changement, l’évaluateur devient un collaborateur, un facilitateur, un interprète, un médiateur, un coach et un éducateur (Preskill & Torres, 1999:56). Finalement, les défis résident notamment dans les perceptions de l’évaluation comme un événement ou un investissement coûteux (temps, ressources), ainsi que du leadership et de la valeur du travail collaboratif (Preskill & Torres, 1999:57).

Donc, le développement de la capacité d’apprentissage conduira possiblement les gestionnaires à acquérir diverses compétences (facilitateur, interprète, médiateur, collaborateur…). Cela peut passer par une communauté de pratique ou la formation. Aussi, cela pourra affecter la perspective de l’évaluation (formative vs sommative), les buts des parties prenantes et les résultats. En faisant état que la capacité d’apprentissage a une relation forte avec la performance non monétaire, cela questionne les objectifs d’une évaluation axée sur l’efficacité ou l’efficience, notamment par l’évaluation de l’apport d’indicateur de performance non monétaire (innovation, satisfaction des employés, apprentissages, compétitivité) dans la reddition de compte.

Appel à la co-création des connaissances

Nous vous convions maintenant comme lecteur, praticien, chercheur ou évaluateur à nous faire part de vos expériences ou réflexions afin d’enrichir cette question et de contribuer à la co-création des connaissances en matière d’évaluation des programmes et des politiques publiques.

Au plaisir de vous lire!

 

Bibliographie

Goh, S. C., Elliott, C., & Quon, T. K. (2012). The relationship between learning capability and organizational performance: A meta-analytic examination. The Learning Organization, 19(2), 92‑108. https://doi.org/10.1108/09696471211201461

Preskill, H., & Torres, R. T. (1999). Building capacity for organizational learning through evaluative inquiry. Evaluation, 5(1), 42‑60. https://doi.org/10.1177/13563899922208814

Senge, P. M. (1990). The fifth discipline : The art and practice of the learning organization. New York: Doubleday.