Les relations entre fonctionnaires canadiens et chercheurs en administration publique
Notre lecture de : Migone, A.R. et Brock, K.L. (2017). Academic research and engagement with the Canadian public service: Insights from three surveys. Canadian Public Administration, 60(3), 369 396. https://doi.org/10.1111/capa.12224

Voici le tout premier billet de la Chaire de recherche du Canada en évaluation des politiques et des programmes. Nous souhaitons, par l’entremise de ce blogue, partager certaines lectures intéressantes afin de vous encourager à découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux résultats de recherche et de nouveaux enjeux liés à l’évaluation des politiques et des programmes.
Les travaux de la Chaire visent à contribuer à l’avancement des connaissances en évaluation des politiques et des programmes. Puisque l’évaluation est une fonction professionnelle présente dans la plupart des administrations publiques, le lien entre nos travaux de recherche et leur utilisation par le milieu de la pratique est important. Nous avons choisi d’explorer la problématique plus large de l’intégration des chercheurs et de leurs travaux à l’administration publique, par l’entremise d’un article signé par Andrea Migone et Kathy Brock. Ce billet fournit un aperçu de l’article, ainsi que notre réaction.
Dans leur article, Migone et Brock (2017) s’intéressent au processus d’élaboration des politiques publiques et le rôle que peuvent y jouer les universitaires. Les auteures posent deux questions de recherche :
- Quels rôles jouent les universitaires canadiens auprès des fonctionnaires canadiens chargés de l’élaboration des politiques publiques?
- Quelles sont les caractéristiques principales de la relation qui existe entre les chercheurs et la fonction publique au Canada?
Méthodes
Pour répondre à ces deux questions, les auteures ont mené trois enquêtes par sondage. La première enquête a été menée en novembre 2014 auprès de cadres supérieurs canadiens. La seconde, en mai 2015 auprès de tous les professeurs universitaires canadiens spécialisés en politique publique, administration publique et science politique. Puis, la troisième enquête a été menée en 2016 auprès de tous les professeurs d’une université canadienne, toutes disciplines confondues. Les auteures soulignent que les répondants aux trois sondages sont majoritairement des professionnels chevronnés qui connaissent l’autre communauté.
Résultats de l’étude
Les résultats des sondages indiquent qu’en général, les fonctionnaires canadiens se basent sur des connaissances scientifiques lorsqu’ils élaborent des politiques publiques; cependant, le recours aux résultats de la recherche peut dépendre de leur source. De manière plus détaillée, la relation entre les fonctionnaires et les universitaires dépend aussi d’autres facteurs soulevés par les auteurs :
- Le rôle actif et passif des chercheurs dans le processus d’élaboration des politiques : Les auteures soulignent le caractère passif et actif des universitaires dans le processus d’élaboration des politiques publiques. Ils jouent un rôle plus passif en publiant les résultats de leurs travaux de recherche, qui peuvent ensuite être consultés par les fonctionnaires. À titre d’exemple, la majorité des chercheurs (80%) disent ne jamais fournir de conseils ou de connaissances aux cadres supérieurs, et ce, même si les cadres supérieurs recherchent ce type de contribution. Cependant, les cadres supérieurs réfèrent à une utilisation relativement fréquente de la recherche, et surtout des données probantes, lors de l’élaboration des politiques. Les universitaires peuvent aussi jouer un rôle plus actif, en fournissant des rapports, des recherches ou en réalisant des contrats. Les auteures indiquent qu’un sous-ensemble de chercheurs est engagé dans ce type d’activités, particulièrement ceux appartenant à la communauté des politiques publiques et de l’administration publique.
- Le rôle des universitaires peut être différent : Le rôle joué par les universitaires diffère selon leur affiliation disciplinaire (sciences politiques ou autres domaines). De plus, les universitaires perçoivent leur relation avec les fonctionnaires comme étant stable ou améliorée depuis les cinq dernières années et sont généralement satisfaits de l’engagement des fonctionnaires dans la recherche. La forte tendance des universitaires à utiliser davantage de méthodes quantitatives pourrait indiquer une aisance des services publics envers ce type de données plutôt qu’envers les recherches qualitatives.
- Les relations informelles et formelles entre les universitaires et la fonction publique fédérale : Les apports informels sont plus communs dans le système de consultation politique que les relations formelles (contrats ou recherche commanditée). Les universitaires spécialistes dans les domaines des politiques publiques, les sciences politiques et l’administration publique apparaissent nettement plus impliqués dans les activités informelles comparativement aux autres universitaires.
- La relation contractuelle disparate : Un petit groupe d’universitaires très actifs est fréquemment en contact avec la fonction publique concernant la recherche et la consultation politique. En général, cependant, les universitaires sont peu engagés dans une relation de recherche contractuelle formalisée. Cela suggère que les universitaires peuvent préférer la recherche indépendante et résister au mode contractuel dominant ou un biais de la fonction publique envers des recherches politiques spécifiques et pertinentes. De plus, la relation de partenaire demeure forte entre la fonction publique, le secteur privé ou à but non lucratif pour la résolution de problème, ce qui rend la contribution des universitaires moins nécessaire dans certains cas.
- Les deux solitudes : Les deux solitudes continuent d’exister. La majorité des universitaires ne sont pas inquiets ni enclins à améliorer leurs relations ou l’utilisation de leur recherche auprès des fonctionnaires. L’insatisfaction de cette relation provient particulièrement des universitaires spécialisés en sciences politiques ou administration publique.
Commentaires
Ce texte est éclairant concernant le rôle que peuvent jouer les universitaires en partenariat avec le secteur public dans le processus d’élaboration des politiques publiques. Encore faut-il réconcilier la vision de l’indépendance de la recherche universitaire avec celle de la recherche contractuelle. Sans en appeler à un changement radical, il y a place à améliorer cette relation et le rôle que peuvent jouer les universitaires, notamment ceux œuvrant dans le secteur de l’administration publique et des politiques publiques. De plus, sans discréditer la recherche empirique basée sur les données probantes, une réflexion est à faire concernant le rapprochement des méthodes qualitatives avec les besoins du secteur public en vue de favoriser leur utilisation et reconnaître leur apport à la compréhension de la complexité du monde social.
Les auteurs ne font aucune distinction entre la pratique de la recherche et celle de l’évaluation par les universitaires. Cela conduit à nous questionner sur la proportion de la recherche concernant l’évaluation. D’ailleurs, concernant cette relation, Cousins et Aubry (2006) ont effectué un rapport pour le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada concernant notamment le renforcement du Centre d’excellence en évaluation au moyen de partenariats avec les universités. Cousins et Aubry (2006) indiquent qu’au Canada, la participation des centres universitaires aux activités d’évaluation s’effectue sous diverses formes : services-conseils, formation ou prestation de service. Entre autres, ceux-ci proposent la mise sur pied de centres d’excellence en évaluation de programme dans les universités, ainsi que la contribution de ceux-ci dans le renforcement des échanges avec le gouvernement (Cousins et Aubry, 2006). Suite à ce constat, nous avons remarqué que le Consortium des universités pour l’enseignement de l’évaluation (http://evaluationeducation.ca/cuee-home-french/) a été créé en 2008. Leur présentation mentionne qu’il s’agit d’un partenariat entre les universités, le gouvernement et la Société canadienne d’évaluation dans le but, entre autres, de faciliter l’accès aux études supérieures en évaluation et de susciter la collaboration dans les projets de recherches avec les professeurs. Cette situation appuie notre réflexion concernant la part de l’évaluation dans la recherche éclipsée dans l’étude de Migone et Brock (2017).
Finalement, l’implication informelle des universitaires concerne-t-elle l’aspect de l’évaluation auprès des décideurs? Comment est cette relation dans le processus de consultation politique? Ces questions apparaissent intéressantes suite à la lecture de Migone et Brock (2017).
Appel à la co-création des connaissances
Nous vous convions maintenant comme lecteur, praticien, chercheur ou évaluateur à nous faire part de vos expériences ou réflexions afin d’enrichir cette question et de contribuer à la co-création des connaissances en matière d’évaluation des programmes et des politiques publiques.
Au plaisir de vous lire!